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vendredi 26 octobre 2012

La roue tourne


Le temps passe, les heures les jours, les mois, les saisons. Passe vite.
Ici tout reste blanc, blanc et bleu, mais surtout blanc. 

Ce qui change, c'est la vie. 

Tout l'hiver, nos seuls compagnons étaient les empereurs, personnalités placides, déambulant gravement. Une allure de Jean GABIN, traînant les pieds, les mains dans les poches. Notre rythme s'était calé sur le leur, tranquille tranquille. 
Un seul objectif : la perpétuation de l'espèce (pas tout à fait comme nous, mais bref), pas de territoire, pas d'immobilier, des groupes fluctuants.

Puis sont venus, pour accoucher, les phoques de Weddel. De grosses limaces bonasses avec le regard de Jean LEFEVRE, qui se posent au plus près de leur trou d'accès dans la banquise. Pas d'immobilier non plus et des relations sociales au niveau zéro (tout  à fait comme nous, mais bref).

Et voilà que l'été arrive, avec à nouveau des oiseaux dans le ciel, skuas, fulmars, damiers, petrels, peu nombreux pour le moment. Ils vont vite retrouver le cabanon familial, dont l'entrée est marquée depuis des générations par ... le vomi de petrel. Des petits propriétaires,  des personnages de Jacques TATI

Mais surtout l'arrivée des Adélies. Le premier, qui avait l'air vraiment perdu, genre: on avait bien dit vendredi, non? où qu'ils sont tous? je me suis trompé de mois ou quoi? Puis deux autres puis huit, puis cinquante, et tout à coup, il y a en a partout, qui nous rappellent que c'est nous qui sommes chez eux, et pas le contraire.
L'Adélie là, c'est DE FUNES, courant partout à toute berzingue, les "bras" en arrière,  empilant déjà les cailloux piqués au voisin pour créer le beau domaine qui accueillera la belle qui lui fera les beaux petits.

Du cinéma, de l'organisation sociale: sans doute la préparation à notre retour dans la vraie vie.

La roue tourne.



PS: Tu t'es fait du souci pour mon lobe: l'alerte est passée. Toi et moi pouvons donc dormir sur nos deux oreilles.






La nuit



Ca y est. honnêtement, nous sommes sortis de la nuit. Ca fait même un bon moment, mais dans nos têtes, dans la mienne en tout cas, c'est maintenant que ca se produit. Difficile à expliquer, à justifier, mais la nuit polaire traîne dans mon coeur, avec une saudade, un spleen. Une fainéantise, en somme.

Toujours est il que ça repart. Beaucoup de sorties, de pelle à neige, et la poursuite des visites de petits recoins de la station pas encore explorés.

Entre autres, SISMOMAGNE. 

Nous avons déjà visité la cave de sismo, avec le pendule de flipper qui mesure les tremblements de terre du monde entier. Mais l'ami Greg (appellons le Nono) ne fait pas que ça. 
Il fait MAGNE. Et c'est compliqué.

D'abord la zone des shelters MAGNE est une zone interdite à la ballade,  tu vas comprendre pourquoi, et le Nono, il n'aime pas voir de traces de pas dans SA neige!
Ensuite,c 'est un vrai truc de matheux. Du conceptuel et du calcul mental;  des grades et des microteslas.
En pratique, il s'agit de mesurer le champ magnétique, en puissance et en direction sur les trois axes. 

Ce champ est suivi depuis l'expédition de Dumont d'Urville . (le Nono de l'époque s'appelait Clément Adrien VINCEDON DUMOULIN, de Chevières à coté de Saint Marcellin pour mes amis dauphinois). Il est du aux mouvements du noyau métallique liquide des couches profondes de la Terre.
Mais il se déplace d'une quarantaine de kms par an: il était en 1840 là, derrière nous, sur le continent, s'est déplacé depuis en mer, devant DDU. C'est à dire que le Sud Magnétique est à notre Nord. 
C'est pas clair? C'est pourtant simple, le pôle sud magnétique est en fait le pôle nord de l'aimant constitué par la terre, mais il attire l'aiguille sud de la boussole.
Enfin de la boussole... Nos boussoles françaises sont réglée pour un Nord magnétique (le pôle sud de l'aimant terrestre, tu suis?) qui est au dessous de la surface de la terre. Du coup, l'aiguille nord de la dite boussole aurait tendance à "accrocher" son boitier, ce qui est compensé par un contre poids. Mais ici, dans l'hémisphère Sud, c'est le Sud magnétique (le pôle nord de l'aimant terrestre), qui attire l'aiguille sud de la boussole. Du coup le contrepoids est du mauvais coté et l'aiguille de la boussole se coince complètement. 
Heureusement tu comprends: puisque si elle ne coinçait pas, son aiguille sud pointerait le sud magnétique à notre nord géographique ce qui n'aide pas pour rentrer à la maison...

Donc, Nono mesure direction et puissance du champ magnétique. Ce champ est très faible, il n'y a pas de quoi tordre des petites cuillères. Si faible que toute pièce métallique à proximité des détecteurs les affole. Même la fermeture éclair de la veste, même l'oeillet du lacet du col du sweat à capuche. Ne parlons pas de l'appareil photo!!
Dans le shelter (on dit shelter, ça veut dire vieille cabane en bois), deux socles de béton, coulés solidement dans le rocher de l'ile.  Dessus une bête théodolite, qui sert à caler chaque jour les mesures par le relevé d'une cible solidement fixée elle aussi au rocher de l'île, 200 mètres de là.
Le théodolite, la cible: on a deux points: on a une droite. Il ne reste plus qu'à mesurer la valeur du magnétisme sur cette droite, dans un sens puis dans l'autre, puis de décaler la mesure de 90° (100 grades) pour refaire la même mesure sur un second puis sur un troisième axe.
Bien sur, c'est en pratique un peu plus compliqué.
Et Nono refait cela chaque jour, pendant un an, pour la science, pour nous tous.  Chapeau Nono.

Ce jour là, la mesure a foiré. Des valeurs hors capacité de mesure de l'appareil. 
J'ai vidé toutes mes poches, oté mes chaussures. Pareil. C'est pas mes biceps en acier, c'est pas l'épingle de nourrice qui renforce le velcro de mes bretelles.
On a laissé tombé.

Mais quand la nuit est tombée, on avait une magnifique aurore australe.

C'est bien la nuit, tout de même!